Les nouvelles lignes directrices de l’ANJ en matière de publicité et jeux d’argent

règlementation de la publicité en droit des jeux d'argent

Compte-tenu des risques liés à l’abus de jeux – surendettement et addiction des joueurs par exemple – les jeux d’argent et de hasard sont réglementés, notamment en matière de publicité. 

Au cours de l’euro de football en juillet 2021, les opérateurs de paris sportifs ont lancé des campagnes publicitaires d’une intensité inédite, analysées comme créant une forte pression sur les joueurs. 

C’est dans ce contexte que l’Autorité nationale des jeux (ANJ) a lancé en septembre 2021 une consultation publique relative aux pratiques des opérateurs de jeux d’argent en matière de publicité. 

Pour accompagner cette consultation, ayant permis de recueillir plusieurs contributions, deux études ont été réalisées :

Quatre points principaux ressortent de ces études :

  • Une intensification inédite de la pression publicitaire ;
  • Une utilisation de plus en plus importante des supports digitaux, échappant en grande partie à la régulation ;
  • Une augmentation des risques pour les publics vulnérables au regard des stratégies promotionnelles déployées ;
  • Une incompréhension des opérateurs s’agissant du décret du 4 novembre 2020 relatif aux modalités de régulation de l’ANJ.

Le dernier point a conduit l’ANJ à adopter, le 17 février 2022, des lignes directrices permettant d’éclairer le sens à donner aux dispositions du décret du 4 novembre 2020.

Les lignes directrices n’ont pas pour fonction de traiter la question de l’intensité et des modalités de diffusion de la publicité des jeux d’argent, pas plus que celle des enjeux de santé publique soulevés.

C’est pourquoi l’ANJ « a choisi d’élaborer des recommandations qui s’attachent à tirer les conséquences du constat qu’elle a dressé et propose des solutions concrètes pour rendre la régulation de la publicité des jeux d’argent plus efficace afin de maintenir le jeu d’argent dans une perspective durable de jeu récréatif ».

Seules les lignes directrices seront abordées dans le présente article. 

De telles « lignes directrices » sont parfois présentées par l’Administration comme relevant d’une forme de soft law, de « droit mou », ne pouvant pas, comme tel, faire grief. 

Le Conseil d’Etat ne s’y trompe cependant pas et admet le recours pour excès de pouvoir1 contre de tels actes.

Le point mérite d’être rappelé, car l’ANJ précise à l’issue de la communication que les lignes directrices ne constituent pas une décision règlementaire mais une « doctrine répressive » sur la base de l’interprétation qu’elle fait des articles D. 320-9 et D. 320-10 du code de la sécurité intérieure. 

En cas de manquement, l’autorité pourra formuler une demande de retrait de communication commerciale et, le cas échéant, engager des poursuites devant sa commission des sanctions. 

Or, en matière de jeux d’argent, le Conseil d’Etat a déjà été conduit à annuler les lignes directrices2 conjointes entre le service central des courses et jeux et la cellule de renseignement financier nationale (Tracfin) sur les obligations relatives à la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme.

Au cas particulier, les lignes directrices de l’ANJ doivent donc respecter le cadre des articles D. 320-9 et D. 320-10 du code de la sécurité intérieure qu’elles se proposent d’étayer.

Les lignes directrices portant sur l’article D. 320-9 : interdiction de l’incitation jeu excessif ou pathologique

L’article D. 320-9 du code de la sécurité intérieure vise cinq interdictions distinctes alors que l’ANJ ajoute une sixième catégorie.

1. Incitation à une pratique de jeu excessive, banalisation ou valorisation de ce type de pratique

L’ANJ considère qu’il est interdit de mettre en scène des personnes ou personnages présentant des symptômes de jeu excessif ou pathologique, excluant ainsi notamment :

  • Les situations de jeu répétitives, incontrôlées, immodérées ou compulsives ;
  • Les scènes d’excitation ou d’émotion d’une intensité disproportionnée ou excessives ;
  • L’association de la pratique du jeu avec une situation d’exploit ou avec un sportif de l’extrême.

2. Association entre jeu et réussite sociale

L’ANJ précise à cet égard que les joueurs ne doivent pas être représentés avec des signes extérieurs de richesse ou des produits de luxe tels que des « voitures de sport » ou des « villas de rêve ».

Le jeu ne doit pas non plus être présenté comme permettant un changement de statut social : accès à des expériences hors du commun, à des services habituellement considérés comme réservés à des personnes très fortunées.

3. Déclarations infondées sur les chances de gains

Il faut ici comprendre, selon l’ANJ, qu’il ne faut pas présenter les chances de gains comme supérieures à ce qu’elles sont vraiment. 

Le risque de perte ne doit pas être caché. 

Plus concrètement, la présentation du jeu ne doit pas laisser entendre que « la compétence, l’expérience ou le savoir-faire du joueur lui permettraient d’éliminer ou de réduire fortement l’aléa dont dépend le gain, qui est inhérent au contrat de jeu ou de pari ». 

4. Présentation du jeu comme une solution face à des difficultés personnelles, professionnelles, sociales ou psychologiques

L’explication donnée par l’ANJ ici n’apporte pas beaucoup plus de précision que le 4° de l’article D. 320-9 du code de la sécurité intérieure. 

Elle indique simplement qu’il convient, pour l’opérateur, d’exclure toute présentation de la pratique du jeu comme une aide ou une échappatoire pour surmonter ou supporter des problèmes individuels ou collectifs. 

5. Présentation du jeu comme une alternative au travail rémunéré

Ici, l’ANJ vise les jeux donnant lieu au paiement du gain sous forme de versement périodique. 

Elle se montre toutefois prudente, reconnaissant qu’il lui est impossible de prononcer toute interdiction à cet égard. 

C’est pourquoi l’ANJ demande simplement à l’opérateur de faire preuve de vigilance lors de la promotion d’un jeu donnant lieu à une rente élevée dont le versement s’étale sur une longue période.  

6. La liberté prise par l’ANJ s’agissant des publicités hyperboliques

Alors que l’article D. 320-9 du code de la sécurité intérieure est silencieux sur ce point, l’ANJ vise « le cas spécifique des publicités hyperboliques », dont la licéité est pour rappel admise par la jurisprudence.3

Elle rappelle qu’elles sont autorisées mais ne sauraient avoir pour effet, par le recours à l’emphase, à la parodie ou à une mise en scène manifestement exagérée4, de contourner ou de porter atteinte aux dispositions de l’article D. 320-9 du code de la sécurité intérieure. 

Il semblerait que l’ANJ s’affranchisse quelque peu du cadre légal des lignes directrices en élargissant le champ d’application des interdictions spécifiquement prévues à l’article D. 320-9 du code de la sécurité intérieure.

Par ce paragraphe, l’ANJ pourrait être tentée de s’affranchir de la démonstration d’une violation de l’article D. 320-9 en caractérisant l’existence d’une publicité hyperbolique contournant ou portant atteinte aux dispositions de l’article D. 320-9.

Pourtant, là où la loi et les règlements ne distinguent pas, les lignes directrices ne sauraient distinguer. 

Les lignes directrices portant sur l’article D. 320-10 : interdiction de l’incitation des mineurs à jouer

L’article D. 320-10 distingue quatre hypothèses de publicités prohibées.

1. Mise en scène d’un mineur ou représentation d’un mineur en situation d’achat

L’ANJ interprète cet alinéa comme une interdiction générale de toute mise en scène d’un mineur dans une communication pour un d’argent et de hasard « qu’il soit ou non en situation d’achat ». 

Pourtant l’article semble distinguer la mise en scène d’un mineur d’une part, de la représentation d’un mineur en situation d’achat. 

Si une différence pouvait être établie entre les deux notions, l’interprétation de l’ANJ pourrait ainsi être écartée. 

L’ANJ ajoute que l’interdiction vise également les personnes majeures dont l’apparence juvénile pourrait laisser à penser qu’elles sont mineures. 

2. Incitation d’un mineur à assimiler le jeu à un loisir

L’ANJ indique en effet simplement que les publicités ne doivent pas associer la pratique des jeux à des loisir généralement réservés aux mineurs ou particulièrement pratiqués par ces derniers. 

Les opérateurs devront par exemple être particulièrement vigilants aux liens qui seraient faits entre paris en ligne et jeux vidéo. 

Elle ajoute que les jeux ne doivent pas être présentés comme un loisir familial ou faire référence à une initiation des mineurs par les membres de leur famille. 

3. Communications commerciales mettant en scène des personnalités ou personnages appartenant à l’univers des mineurs

Ici, l’ANJ confère une portée générale à l’alinéa.

Selon elle, cette disposition ne vise pas seulement les personnages appartenant exclusivement à l’univers des mineurs ou étant seulement populaires auprès de ces derniers :

« seul importe ici l’attrait que la communication commerciale est susceptible de produire sur un mineur ».

Si cette interprétation ne paraît pas contraire à la lettre du texte, elle soulève une interrogation concernant les communications commerciales mettant en scène, par exemple, des personnalités du monde du football particulièrement populaires, tant chez les majeurs que chez les mineurs. 

Cela pourrait donner lieu à un contentieux nourri, de plus en plus d’opérateurs ayant recours à des partenariats avec de clubs on sportifs très populaires auprès des mineurs. 

4. Orientation vers les enfants ou adolescents en raison d’éléments visuels, sonores, verbaux ou écrits

L’apport des lignes directrices sur ce point est limité ; elles se contentent de reprendre le texte de l’article, en ajoutant simplement l’exemple de la « représentation d’une activité ou d’une œuvre culturelle particulièrement populaire auprès des mineurs ». 

Références

  1. CE, Ass. 21 mars 2016, Sté Fairvesta international GMBH, req. n° 368082-84, et, du même jour, Numéricable, req. 390023 : AJDA, 2016, 717, ch. Dutheillet de Lamothe et Odinet.
  2. CE, 4 mai 2018, req. 408288.
  3. Cass. crim., 21 mai 1984 : D. 1985, jurispr. p. 105, note S. Marguery.; Cass. crim., 12 octobre 1999, n°98-87.674.
  4. Ces critères constituent la définition de la publicité hyperbolique.

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