A une époque où les investissements dans l’hôpital public diminuent chaque année, rendant les conditions d’exercice en son sein de moins en moins attractives, il est fréquent que de jeunes médecins quittent le secteur public à l’issue de leur clinicat ou de leur assistanat.
Ils ont alors le choix entre différents modes d’exercice : les remplacements, les contrats d’exercice ou de travail avec des établissements privés, les contrats d’exercice avec des cabinets…
Chacun de ces modes d’exercice nécessite naturellement, pour le jeune praticien, divers engagements contractuels.
Or, durant leur parcours, les étudiants en médecine ne sont pas, d’un point de vue juridique notamment, préparés à l’exercice libéral de la profession.
Le constat est le même pour de nombreux autres professionnels de santé (chirurgiens-dentistes, infirmiers libéraux, sage-femmes…).
Il est encore courant aujourd’hui que de jeunes professionnels de santé préparant leur installation, signent des contrats de remplacement dont ils perçoivent mal la portée, pouvant par la suite restreindre l’exercice et le développement de leur activité.
Il en va ainsi des engagements de non-concurrence contenus dans les contrats de remplacement.
Le code de la santé publique (ci-après « CSP ») pose, notamment pour les médecins, le principe d’une obligation de non-concurrence (1), qu’il est possible d’aménager contractuellement (2).
1. Le principe de non-concurrence pendant deux ans suivant le remplacement
Le remplacement est une convention spéciale qui n’a cours qu’en matière médicale.
Dans le cadre strictement réglementé du remplacement médical, le praticien remplacé assume diverses obligations envers son remplaçant, et réciproquement.
Le remplaçant est ainsi notamment tenu d’une obligation de non-concurrence.
Depuis longtemps appliquée par la jurisprudence1, cette obligation de non-concurrence a été codifiée dans le CSP.
Son article R. 4127-86 dispose que :
« Un médecin ou un étudiant qui a remplacé un de ses confrères pendant trois mois, consécutifs ou non, ne doit pas, pendant une période de deux ans, s’installer dans un cabinet où il puisse entrer en concurrence directe avec le médecin remplacé et avec les médecins, qui, le cas échéant, exercent en association avec ce dernier, à moins qu’il n’y ait entre les intéressés un accord qui doit être notifié au conseil départemental. »
CSP, article R. 4127-86
Autrement dit, un médecin ou un interne remplaçant plus de trois mois dans un cabinet, ne peut ensuite exercer son activité pendant deux ans si celle-ci entre en concurrence directe avec le médecin remplacé.
Cette obligation est également prévue dans le CSP pour les chirurgiens-dentistes, infirmiers libéraux, sage-femmes et pharmaciens.
Si dans le cadre d’un contrat de travail, la jurisprudence2 exige le versement d’une contrepartie financière, il n’en va pas ainsi pour le contrat de remplacement3.
Il est ainsi essentiel, pour le remplaçant, d’être particulièrement vigilant lors de la signature de son contrat de remplacement, et ce d’autant plus qu’un aménagement conventionnel est possible.
2. La possibilité d’aménager ou de renoncer à l’obligation
L’article R. 4127-86 du CSP précité pose le principe de l’obligation de non-concurrence, « à moins qu’il n’y ait entre les intéressés un accord ».
Autrement dit, tant les conditions que l’existence de l’obligation peuvent être définies par les parties, dans un sens favorable ou non au remplaçant.
L’aménagement de l’engagement peut être spatial, temporel ou même consister en une renonciation pure et simple.
La Cour de cassation a ainsi considéré qu’une clause de non-réinstallation :
« doit être limitée dans le temps et l’espace, et respecter une certaine proportionnalité entre les limites fixées et leurs effets sur les deux activités supposées en concurrence illicite »
Cass. civ. 1ère, 28 mars 2008, n°07-12.454.
Plus récemment, la Cour d’appel de Versailles a rappelé que :
« la clause de non-concurrence ne doit pas rendre impossible l’exercice par le professionnel de son activité, elle doit être proportionnée aux intérêts légitimes qu’elle a pour objet de protéger et être limitée dans le temps et dans l’espace ».
CA Versailles, 12 novembre 2020, n°19/04997.
1. L’aménagement spatial de la clause
L’article R. 4127-86 du CSP ne définit pas précisément la limite géographique de l’obligation de non-concurrence, se contentant de viser « un cabinet où il puisse entrer en concurrence directe avec le médecin remplacé ».
Dans ces conditions, il est envisageable, à l’occasion de la rédaction ou de la négociation du contrat, de prévoir une limitation spatiale plus précise.
La Cour d’appel d’Aix en Provence a ainsi considéré que :
« la zone de concurrence directe contractuellement prévue, de cinq kilomètres de rayon, n’englobant pas de ce fait toute l’agglomération marseillaise, est raisonnable ».
CA Aix en Provence, 18 octobre 2007, JurisData n° 2007-349998.
Au contraire, une zone de concurrence contractuellement prévue de cinq kilomètres de rayon a été sanctionnée5 car elle revenait à exclure toute possibilité d’installation pour la remplaçante sur une ville entière de taille moyenne et sa périphérie.
2. L’aménagement temporel de la clause
Le CSP publique prévoit une durée de deux ans pour l’obligation de non-concurrence.
Il est néanmoins possible de modifier cette durée, en fonction des circonstances, sous réserve du respect du principe de proportionnalité7.
3. La renonciation pure et simple
Enfin, le remplacé peut également renoncer, dans le contrat, à se toute obligation de non-concurrence.
En toute hypothèse, la signature du contrat de remplacement constitue un enjeu très important pour les deux parties au contrat, le remplaçant ne souhaitant pas être limité dans un exercice qui débute et se développe, et le remplacé devant se protéger contre la captation déloyale de patientèle.
Si le contrat de remplacement est en pratique rarement négocié, une attention toute particulière doit néanmoins être portée à l’obligation de non-concurrence qui y est stipulée, et ce du point de vue de chacune des parties.
En effet, depuis la réforme du droit des contrats, toute clause imposée – c’est-à-dire non négociée – créant un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties est réputée non écrite8.
C’est également sur le terrain du déséquilibre significatif que pourrait être appréciée la validité d’une clause de non-concurrence insuffisamment limitée dans le temps et dans l’espace.
Références
- Cass. com., 16 mars 1943: JCP G 1943, II, 2289.
- Cass. soc., 10 juill. 2002 : JCP G 2002, II, 10162, note F. Petit ; Cass. soc., 29 janv. 2003 : Bull. civ. 2003, V, n° 27. ; Cass. soc., 27 oct. 2009 : Contrats, conc. consom. 2009, comm. 288, note M. Malaurie-Vignal ; L’essentiel Droit des contrats, 1er déc. 2009, n°11, p.3, obs. G.Guerlin; Cass. soc., 2 mars 2011, n°08-43.609.
- F.Chalvignac, À la recherche des fondements de l’exigence d’une contrepartie financière à la clause de non-concurrence : TPS 2004, chron. 4, p.7, spécialement p.9; CA Versailles, 12 novembre 2020, n°19/04997.
- M. Gomy, Essai sur l’équilibre de la convention de non-concurrence, Thèse de doctorat en droit privé, sous la direction de Y. Serra, Perpignan; JD. Pellier, JCP Entreprises et affaires, Appréciation d’une clause de non-concurrence stipulée dans un contrat de remplacement, 25 septembre 2008, 2172.
- CA Amiens, 28 juillet 2020, n°19/02068.
- Cass. civ. 1ère, 28 mars 2008, n°07-12.454.
- Ibidem.
- Article 1171 du code civil.