Révocations en cascade d’un même mandataire social au sein d’un groupe de sociétés

Brève


CA Paris, Pôle 5 ch. 8, 4 juin 2024, n° 22/07491

La Cour d’appel de Paris a récemment rappelé que constitue un juste motif de révocation du gérant d’une société à responsabilité limitée (SARL) une faute de gestion ou une attitude de nature à compromettre l’intérêt social ou le fonctionnement de la société (en ce sens, v. Cass. com., 24 mai 2017, n° 15-21.633, Cass. com., 9 nov. 2010, n° 09-71.284, Cass. com., 14 déc. 2004, n° 02-14.750).

En l’espèce, une personne, ayant démontré un comportement inapproprié et irrespectueux à l’égard du personnel d’une SARL, a été révoquée de son mandat de co-gérant dans cette société et parallèlement licenciée. Le conseil de prud’hommes a ensuite jugé que le licenciement était motivé par une cause réelle et sérieuse. Simultanément, cette personne a été révoquée de ses fonctions de gérant d’une autre SARL, en raison de l’existence d’un contrat de gestion liant les deux sociétés. L’ex-gérant a assigné les deux sociétés pour obtenir réparation de la révocation de ses mandats sociaux qu’il estimait infondée et abusive, considérant notamment qu’en vertu du principe de l’autonomie du mandat social et du contrat de travail, la rupture du contrat de travail ne pouvait pas avoir d’incidence sur le mandat social.

Selon la Cour d’appel, qui infirme un jugement du tribunal de commerce, le comportement brutal et méprisant du dirigeant a pu porter gravement atteinte au bon fonctionnement interne de la société de même qu’il était contraire à l’intérêt social en ce qu’il donnait une mauvaise image de l’entreprise vis-à-vis de ses partenaires extérieurs. Un tel comportement constituait ainsi un juste motif de révocation de son mandat de gérant.

La cour ajoute que :

« l’argument tiré de l’autonomie du mandat social et du contrat de travail est inopérant en raison de la nature des faits qui irriguent de manière identique l’ensemble de ses fonctions, qu’elles soient mises en œuvre en exécution du lien de subordination le liant à la société ou à l’occasion de l’exercice de son mandat social ».

Le point mérite d’être souligné dans la mesure où, en droit du travail, le juste motif de révocation du dirigeant ne peut être, en soi, une cause réelle et sérieuse de licenciement. Lorsqu’il y a rupture du contrat de travail, il y a bien autonomie de la cause réelle et sérieuse qui doit donc être appréciée indépendamment de la motivation de la révocation du mandat social. Cela n’empêche pas que, dans certaines situations, le même motif puisse être utilisé différemment pour le licenciement et la révocation (en ce sens, v. Cass. soc., 16 déc. 1981, n°79-42.754 ; également Cass. soc, 15 déc. 2010, n° 09-71.288).

En revanche, il est admis que la perte de confiance liée au licenciement du salarié peut motiver la révocation de la même personne prise en sa qualité de dirigeant (v. en ce sens, Cass. com., 12 juin 2007, n° 06-13.900).

Au cas particulier, la nature des faits apparaît, à suivre l’interprétation souveraine des juges du fond, d’une gravité telle que la révocation du mandat est dûment motivée.

Par ailleurs, pour décider que la révocation n’est pas abusive, la cour rappelle le principe suivant lequel (v. Cass. com., 20 fév. 2019, n° 17-21.470 ; aussi Cass. com., 10 fév. 2015, n° 13-27.967) :

« la révocation du dirigeant est considérée comme abusive notamment en cas de méconnaissance par la société de l’obligation de loyauté due à son dirigeant, et ce quand celui-ci n’a pas, préalablement à la décision, eu connaissance des motifs de sa révocation et été mis en mesure de s’exprimer sur les faits qui lui étaient reprochés, étant précisé que le dirigeant ne peut en revanche pas faire valoir qu’il a été révoqué abusivement s’il a eu peu de temps pour organiser sa défense, du fait de la brièveté du délai écoulé entre le moment où il a été avisé et celui de la réunion de l’assemblée ».

De surcroît, la révocation du dirigeant est également considérée comme abusive quand elle a lieu dans des circonstances vexatoires ou injurieuses, c’est-à-dire lorsqu’elle porte atteinte à la réputation ou à l’honorabilité du dirigeant (v., par exemple, Cass. com., 15 mai 2012, n° 11-15.497).

La Cour constate que les conditions d’une révocation abusive ne sont pas remplies en l’espèce.

Enfin, pour légitimer la révocation dans la seconde SARL, l’arrêt pose le principe suivant lequel :

« l’existence d’un juste motif de révocation n’est pas subordonnée à l’existence d’une faute mais peut résulter d’une attitude de nature à compromettre l’intérêt social, d’un changement d’organisation interne ou de la perte de fonctions au sein d’une autre personne morale ».

Il est vrai que le juste motif de révocation peut consister en une perte de confiance dans la personne du dirigeant. Cette perte de confiance apparaît d’autant plus légitime en l’espèce que la réalisation de l’objet social et le fonctionnement d’une des sociétés était intrinsèquement liés à l’intervention de l’autre, ce qui justifiait la désignation d’un gérant commun (v. déjà Cass. com., 10 nov. 2015, n° 14-20.301).

Contentieux des affaires et mesures d’urgence